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PIERRE CENDORS – Vie posthume d’Edward Markham


Pour poursuivre la découverte de l’œuvre de Pierre Cendors et après la lecture De Minuit en mon silence , lecture qui m’avait transportée dans les pensées amoureuses d’un soldat allemand de la 1e guerre mondiale, j’ai quitté le genre épistolaire pour celui de la novella et j’ai lu lu un texte qui par certains côtés s’apparente à un scénario de série télévisée… mais n’en est pas tout à fait un…

Je voulais sortir des sentiers battus…
Et s’il est bien un auteur qui offre à ses lecteurs un itinéraire rarement fréquenté, c’est Cendors !
Alors je me suis éloignée du réel jusqu’à me perdre, j’ai exploré des zones aux confins de la réalité et de l’étrange, et je suis entrée dans la Quatrième dimension.
En revient-on jamais ?

Lire Pierre Cendors , c’est se confronter à une énigme…
Il faut accepter de se retrouver face à des incompréhensions pour peu à peu apprivoiser un univers nouveau et différent, vivre une expérience insolite et forcément déstabilisante.
Le voyage n’est pas facile mais il est exaltant.

3,2,1,0…
« Vous ne serez pas seulement spectateur d’un film » nous prévient Orson Welles dès la mise en scène cinématographique des premières pages.
« Vous devez comprendre que vous faites désormais partie de l’histoire. »

Sans vraiment connaître cette immense série américaine en N&B des années 60, je suis entrée dans la Twilight Zone, autrement plus connue sous le nom de 4e dimension.

C’est un monde où « le ciel est constamment bleu : bleu, venteux et spacieux »
Un univers qui ressemble à la réalité mais qui s’avère déjà parallèle au nôtre…
L’appréhender suppose de tâtonner un peu avant de saisir les contours de ce nouvel espace. Il ne faut pas s’étonner d’y glisser subrepticement et d’arriver peu à peu sur les rivages d’un autre réel.
Il faut s’attendre aussi à fréquenter des personnages qui échappent au rôle qui leur semblait tout d’abord dévolu.

Exploration de la 4e dimension

Ici on croise « un homme à l’âme déchaussée, un homme de vent qui marche en lui à pieds nus».
Là un autre «à l’écoute des lointains ».
Et le lecteur à son tour risque bien d’être pris de vertige…
L’avertissement initial d’Orson Welles vient résonner… « Vous serez ce film… »

L’intrigue…
Todd Traumer, le réalisateur de la mythique série La 4e dimension, doit livrer le tout dernier épisode.
Pour cette ultime aventure, il demande à son ami Edward Markham de jouer le rôle de Usher, un personnage destiné à basculer dans une autre dimension…
Il ne sait pas que son ami est malade, il ne sait pas non plus comme nous l’indiquent les premières pages, qu’il vit là ses dernières heures et qu’il ne pourra pas écrire le mot FIN sur le script qu’il tenait encore à la main sur son lit d’hôpital.

Il fait d’Usher le réceptacle de ses rêves, le chercheur d’or assoiffé d’idéal qui n’a en tête qu’une seule chose : accéder à cet espace de silence, ce réel derrière le réel, ce « premier monde cosmique au-delà de la pensée. Une zone de résonance primordiale dans l’esprit de l’homme. »
Un basculement est annoncé.
Mais qui bascule vraiment ?
Le personnage, son rôle sur le script ou le réalisateur ?
Et si c’était le lecteur ?

La mise en abyme qui superpose la réalité au scénario est une nouvelle fois vertigineuse.
L’autre réel est exploré par Cendors jusqu’à l’obsession…
L’enjeu est d’éprouver peu à peu le silence et l’effacement pour accéder « au cœur de la terre, au seuil du cosmos, dans le vaste hinterland du premier monde. »

Incroyable récit qui dès le premier tiers manipule le lecteur et brouille les pistes dans un parallèle qui n’est pas sans rappeler le roman Archives du vent : il en reprend d’ailleurs la thématique cinématographique et plusieurs éléments.
Pour ne prendre qu’un exemple de croisement entre les textes, le scénario de cette novella est signé Egon Storm qui n’est autre que le réalisateur du roman…

J’ai été impressionnée par cet art du trompe l’œil qui se déploie sous une plume divine.

Quand le livre a été terminé, une sensation tenace m’a habitée, celle d’avoir participé à une expérience folle, au-delà du réel, COSMIQUE.

« Les œuvres d’art, écrivait le poète Rilke, sont toujours le résultat d’un danger couru, d’une expérience conduite jusqu’au bout, jusqu’où personne ne peut aller plus loin. »♥️

Aux Editions du Tripode

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