
Remonter aux origines de sa fascination : comparer un auteur que l’on découvre à ceux que l’on aime déjà
Il existe certaines rares lectures au pouvoir étrange qui, d’une simple étincelle, embrasent notre imaginaire.
Elles nous laissent aussi vibrants que si l’archet d’un virtuose avait inventé une note, pure et magnifique, inconnue et pourtant familière…
C’est ce qui m’est arrivé quand j’ai lu Pierre Cendors tout récemment.
Il est entré si fort en résonance avec mon esprit que j’en ai été soufflée.
Alors j’ai cherché ce qui pouvait bien provoquer pareil éblouissement.
Et j’ai trouvé.
Pour moi, Pierre Cendors c’est un peu Paul Auster qui aurait rencontré Julien Gracq, étant entendu que ce sont là les deux écrivains que je porte aux nues.
À l’architecture vertigineuse des récits de l’un, Cendors allie la langue étincelante de l’autre.
Non pas que Paul Auster ait une plume mineure.
Mais Julien Gracq sublime les mots par leur confrontation inattendue, il a le souci du vocable précieux et de la phrase ciselée, une exigence stylistique inimitable qui peut agacer certains lecteurs mais moi me fascine.
De la même façon, Cendors emprunte des termes rares à la langue, ses images saisissent le lecteur et lui offrent d’entrer dans un monde dont lui seul a la clé.
De Paul Auster, Pierre Cendors reprend la dimension vertigineuse du récit.
La parenté entre les deux auteurs est sans doute une évidence pour qui a ressenti l’impression d’étrangeté qui se dégage de la lecture d’Archives du vent comme de Cité de verre.
Ces deux romans se prêtent facilement au rapprochement : ils construisent une narration qui emmène le lecteur dans des incertitudes de plus en plus grandes.
Plus on avance dans le récit, plus le sol semble se dérober sous nos pieds et moins il est possible d’obtenir des certitudes.
De quoi s’agit-il ?
Un récit qui comme un tiroir à double fond révèle ce qui longtemps était resté caché…
Une histoire dont le fil que l’on croit tenir s’amoindrit peu à peu pour disparaître soudainement…
Sommes-nous dans un roman policier dont l’enquête piétine et ne saurait se conclure ?
Le lecteur déambule dans la conscience du personnage plutôt que dans la réalité et finit par admettre qu’il n’existe pas une seule vérité.
Le réel kaléidoscopique ne saurait être embrassé en une seule vision…
Des thèmes majeurs émergent de ces deux romans : le dédoublement, la profonde solitude dans laquelle sont plongés les protagonistes et la quête de l’identité.
Queen chez Auster, Erland Solness chez Cendors : chacun possède son double dans un jeu de miroir. Il faut lire toute la trilogie new-yorkaise pour comprendre la notion de double, elle prend des proportions affolantes sur les trois tomes.
Ces personnages sont seuls, parfois perdus dans la grande ville, d’autres fois laissés à leur introspection ou emmurés dans un mutisme définitif à l’image du réalisateur de cinéma Egon Storm des Archives du vent.
Que cherchent-ils ?
Leur identité.
Leur agitation n’est que le résultat d’une quête métaphysique sans relâche pour comprendre qui ils sont et d’où ils viennent.
Voilà ce qui me paraît déjà être une parenté très intéressante et voilà exactement ce que j’aime ressentir face à la littérature.
Un vertige.
Dernière anecdote :
En cherchant d’autres romans de Cendors, il m’est apparu que Les Fragments Solander avaient pour personnage principal un certain Paul Fauster.🙃
La boucle est bouclée.
Si vous êtes amateurs de Gracq et Auster, vous pourriez bien éprouver un délicieux vertige en vous plongeant dans les Archives du vent...