littérature·Mes auteurs de prédilection

PIERRE CENDORS – Les Fragments Solander

Explorer l’invisible. Nouvelle lecture d’un roman de Cendors, nouvelle expérience hallucinante…
J’ai encore une fois été transportée.


Vous allez me répondre : quel manque d’objectivité ! Tu les aimes tous ! Il écrirait des recettes de cuisine que tu crierais au génie ! 😂
.
C’est vrai… je crie au génie, j’aime tout ce qu’il écrit, je suis conquise d’avance mais ce n’est pas sans raison, cela n’a rien d’une posture.
Et croyez-moi si vous le pouvez mais ce n’est pas toujours si confortable de tomber sur un auteur que l’on porte ainsi aux nues et qui nous emporte à jamais dans son monde étrange et magnifique ; parce qu’après une telle découverte, tout paraît fade, insipide et sans éclat.
Dans chacune de mes lectures, je cherche maintenant le double sens quand il n’y en a pas, je vois un trompe l’œil quand tout est plat, j’attends l’illumination du style quand la langue est morne.
Bref, je m’ennuie à mourir sans Cendors, à tel point que tout me tombe des mains et que je ne lis plus.
Je sens bien poindre votre consternation : « elle en fait trop », « ça suffit maintenant, ça en devient ridicule »… mais j’assume entièrement cette folie, mes passions comme mes déraisons.♥️

Revenons au roman.
Si l’intrigue prend dans les premières pages des airs plus classiques que certaines des œuvres de Cendors, elle prépare néanmoins ses effets, elle tisse la toile où se fera prendre le lecteur et installe les miroirs qui bientôt lui feront voir double ou triple, et reproduiront à l’infini le réel jusqu’à le perdre, jusqu’à ce qu’il se vide de sa substance pour parvenir au plus profond de l’existence humaine.

Dans un style très fluide, le narrateur déroule le fil d’une enquête que l’on pourrait presque qualifier de policière.
Mais très vite, le lecteur sent qu’un trop grand nombre d’éléments viennent le perturber la logique et le manipuler.
Et en fait de roman classique, il se retrouve dans un univers dont il croit reconnaître l’architecture mais qui lui échappe encore une fois, et le mène finalement à un questionnement existentiel.
Cette tournure n’est pas sans rappeler la Trilogie new-yorkaise de Paul Auster, auquel Cendors emprunte et modifie légèrement le nom du héros/écrivain (Auster & Fauster).

Paul Fauster, héros de cette aventure, va se confronter aux lois du réel et de l’invisible.
Ecrivain, et plus précisément biographe, il n’a de cesse de faire la lumière sur un poète disparu à Prague après la guerre, une figure légendaire à la destinée énigmatique et dont il cherche à retrouver la trace.
Qui est Endsen , « homme taciturne mais poète impétueux », « homme déchu mais poète immortel » ?
Célébré à l’égal d’un Rimbaud, d’un Blake ou d’un Artaud dans les pays de l’Est, il est « un homme insaisissable, un poète visionnaire, rebelle sans visage, aventurier sans identité ».
Il est aussi le héros d’un autre roman de Cendors, L’homme caché, avec lequel Les Fragments constituent un diptyque.
Endsen est-il mort, est-il vivant ?
Et pourquoi les pistes suivies ne mènent- elles nulle part si ce n’est sur des chemins tortueux nimbés d’une brume impénétrable ?

Les Fragments Solander constituent un savant assemblage de textes inachevés, mêlés à une narration qui remonte un fil pour saisir le destin d’êtres évoluant dans le contexte chaotique de la 2e guerre mondiale.
On y croise une star de cinéma, un sibérien érotomane, une voyante juive aux trois visages, et d’autres figures qui se mêlent et se superposent les unes aux autres dans un ballet affolant de Doppelgänger.
L’un est l’autre, « tout homme est deux, et le véritable est l’autre », écrivait Borges.

Ce roman est une longue quête hallucinée qui mène le lecteur entre les villes européennes de Prague, Berlin et Budapest gagnées par la Peste brune, l’emporte dans un périple mortel et le perd dans les méandres de son labyrinthe intérieur.

Qui sommes-nous ?
Quelle perception de la réalité nous permet-elle de construire notre identité ?
Et si toute l’existence n’était en fait qu’une longue tentative de donner forme au magma qui est en nous ?
Et « le plus grand effroi de l’homme [n’]est[-il pas] d’affronter la réalité du couloir psychique qu’il renferme » ?

Voilà quel genre d’expérience vous propose ce roman. Avouez qu’il y a de quoi y perdre son latin ou d’être comme je l’ai été, subjuguée…

EXTRAITS :

« Nous sommes tous des êtres tissés de mystère, aussi infrangibles que le désir, aussi intangibles que ses instances. »

« La surabondance visionnaire des images était magnifiquement forgée dans une langue à la voix dépouillée et ardente. »

« (…) Loin de n’être qu’une sommité littéraire de plus, le poète était une figure pétrie et façonnée dans le magma intérieur de Zlata, une énergie animale de l’âme gîtant dans l’inexprimé de chaque homme, de chaque femme. »

« Ecouter le silence qu’une gorgée de vin incendie de velours. »

« L’imagination est la matrice de la réalité. Tout ce que l’on voit, une table, un film, une cathédrale, pour exister, doit d’abord être imaginé. Il faut cultiver en soi la vision. La réalité est une formule poétique. Solander sa capitale. »

Aux éditions de la Dernière Goutte

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