littérature

Les Falaises – Virginie DeChamplain

Quand la douleur est plus grande que le paysage…

J’ai été séduite par l’atmosphère du Québec dans laquelle le récit s’installe et qui donne une couleur si particulière aux événements.

Imaginez à votre tour…

La Gaspésie déroule le long du fleuve immense ses maisons de pêcheurs et ses cages à homards, le ciel se teinte de gris que les stries de la pluie délavent comme dans une aquarelle tandis que le ressac charge l’air de sel… et d’amertume…

D’amertume parce que dès la première page, la narratrice retrouve le petit village de son enfance pour venir enterrer sa mère.

Et que la marée est une nausée qu’elle ne sait retenir.

« Saint-Laurent, ma mère en sirène.

La marée montante a ramené son cadavre bleu. Sa tête fendue. Ses cheveux comme des algues dans le ressac.

J’ai pas pleuré encore. J’ai pas eu le temps. »

Sa mère a mis fin à ses jours, les falaises ont accueilli ses derniers instants et son corps a échoué sur le rivage.

Comment comprendre un être qui a fait ce choix-là, comment ne pas sombrer à son tour dans un grand désespoir que rien ne saurait consoler ?

La douleur qui la submerge est un grand déferlement de vagues, la narratrice suffoque et le chagrin domine tout son être.

Pour ne pas se noyer, elle rassemble des cahiers trouvés dans les affaires de sa mère et que sa grand-mère islandaise noircissait depuis toujours.

Ils éclairent son passé, ils la relient à un espace et à un temps qu’elle n’a pas connus.

Elle s’enferme chez elle pour les lire et se réfugie dans son lit, sorte de radeau de fortune qui lui autorise une dérive salutaire dans les eaux du passé.

C’est un retour aux origines qu’elle entreprend alors, un voyage qui lui rappelle d’où elle vient, de quels êtres sensibles elle est issue et de quels tourments elle a hérité.

Seules quelques femmes accompagnent son deuil : des amitiés amoureuses, et sa sœur et sa tante profondément marquées par la personnalité fantasque de la mère.

Malgré l’âpreté du propos j’ai aimé cette langue aussi rugueuse que poétique qui parvient à saisir la douleur sans se départir de beauté.

J’ai aimé aussi la rencontre fictive de ces trois personnages féminins qui jamais ne se sont trouvés ensemble au cours de leur existence.

Au-delà de la mort et par le biais de leurs écrits légués à la narratrice, la grand-mère et la mère parviennent à entrecroiser leurs voix pour tisser une matière narrative éclairante et salvatrice.

Ce roman est une réussite parce qu’il traduit la nécessité de restaurer les liens entre les êtres – vivants ou morts – pour échapper au naufrage du deuil.

Il montre que dans les moments insupportables de la vie, c’est l’humanité qui sauve ceux qui restent.

Aux éditions de La Peuplade.

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