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Archives du vent – Pierre Cendors

Archives du vent…

Le titre déjà fait la promesse d’entrer dans un monde aussi aérien qu’insaisissable.

Mais ce que le lecteur ignore quand il ouvre ce roman, c’est qu’il s’apprête à s’élancer dans l’exploration un monde à la marge, « constamment relié au commencement », qui le mènera à la découverte d’« un autre réel »…

Lire ce roman, c’est vivre une longue transe somnambulique et traverser un paysage qui vous semblera familier alors même qu’il se déconstruira sous vos yeux au fil des pages.

Vous ressentirez alors une drôle de sensation, celle d’un vertige absolu.

Et à la fin de votre lecture, vous peinerez à savoir si vous avez lu un roman ou si vous avez rêvé…

Comment résumer une intrigue aussi singulière ?

C’est impossible, tout comme il est illusoire de raconter un rêve insaisissable…

Tout au plus peut-on en livrer quelques bribes, sans jamais réussir à reconstruire une image satisfaisante de l’ensemble.

Alors pour commencer, imaginez-vous rencontrer un personnage étonnant, sorte de génie solitaire et habité.

Egon Storm est l’apprenti sorcier du cinéma islandais : il n’a qu’un seul but, innover, trouver sa trajectoire de comète et scintiller dans le ciel de son époque.

La trilogie qu’il réalise, « d’une sourde étrangeté, singulièrement rétro, paradoxalement moderne et ouvertement irrationnelle », le place définitivement auprès des grands noms du cinéma.

Elle est sombre, lyrique et controversée.

Elle traduit les obsessions de son créateur qui use de sa caméra comme d’un « scaphandre cyclopéen » destiné à « sonder les gouffres terrestres et célestes que recèle notre psyché. »

Mais alors qu’elle est diffusée à un rythme lent, on découvre qu’un quatrième volet a peut-être vu le jour dans le plus grand secret…

Un second personnage tente d’éclairer le sens de cette mystérieuse trilogie et de décrypter le code d’un réel qu’elle semble avoir enfermé dans ses métaphores et symboles innombrables.

Il commence ses recherches sans savoir que les films pourraient bien prédire l’existence d’un personnage avant même qu’il l’ait vécue…

J’ai été entièrement possédée par cette lecture qui m’a donné l’impression de regarder un film de David Lynch tout en découvrant un roman que Paul Auster n’aurait pas renié.

C’est vous dire le haut degré de fascination qui m’a saisie…

Plus que tout, j’ai aimé la réflexion sur le hasard et la façon dont le récit tisse entre les faits autant de correspondances prémonitoires que de rêves prophétiques.

Et j’ai été subjuguée par la démonstration que l’art est la traduction fantasmée de nos vies et qu’il délivre à qui veut bien se donner la peine de s’y pencher, les clés de ce que nous avons vécu et parfois aussi de ce que nous vivrons.

Magistral roman que la langue subtile et profonde de l’auteur vient encore parachever d’un sombre éclat.

Pour moi, lire Pierre Cendors c’est comme ressentir le grand amour pour un être dont on ignorait jusqu’à l’existence, c’est découvrir ce qui était là depuis toujours mais dont on n’avait pas saisi la présence. Et c’est rester cloué par l’idée que jamais plus on ne saura s’en passer.

Extraits :

« La découverte d’un autre réel, d’un lieu de haute solitude, habité d’un silence originel, a éveillé en moi, depuis l’adolescence, l’envie de pouvoir tout abandonner. (…) Et je ne parle ni de nostalgie ni de rêvasserie. Je parle d’un irrépressible élan de l’être, d’un appel inexplicable, urgent, profond, extravagant, à tout abandonner. »

« J’aime ceux qui ne savent vivre et qui, pourtant, s’y emploient, ceux qui ont la vertu de leurs échecs, et la pureté de n’en rien cacher. »

« C’est Alfred Hitchcock, le maître du suspense, qui préconisait de ne jamais retenir la première, ni même la deuxième idée qui se présente à vous, mais de guetter celle que personne n’attend (et vous le dernier). Je suis entièrement de son avis. Cela s’applique d’ailleurs aussi bien à un film, à un roman ou à une peinture. Ou à la vie. »

Aux Éditions du Tripode.

Le blog de Pierre Cendors est consultable en suivant le lien.

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