
Comment rendre compte de la vie d’une femme artiste, comment rester fidèle à sa mémoire, aux émotions qui l’ont traversée, comment saisir les élans de son âme vers l’infini de la beauté alors qu’elle a disparu depuis des dizaines d’années et que son existence s’est achevée dans le camp d’Auschwitz, figeant son destin dans le tragique de la plus grande abomination du XXe siècle ?
C’est la question que se pose Kristyna, son amie, entrée dans un âge vénérable et pétrie de souvenirs, quand l’équipe israélienne du tournage d’un documentaire vient l’interroger sur Berta Altmann, figure de l’art – inspirée de l’histoire réelle de Friedl Dicker-Brandeis, artiste juive autrichienne.
Et cette question se double d’une autre, plus intime et personnelle : comment se libérer d’un secret qui pèse sur ses épaules depuis si longtemps et qui la lie définitivement à cette femme ?
Magdalena Platzová fait entrer le lecteur dans la vie tumultueuse de Berta, cherche à montrer la suprématie de l’art sur toute chose et la façon dont l’ambition artistique se heurte au réel, à l’amour ou à la maternité, aux combats esthétiques et idéologiques de l’époque, ou au contraire comment elle est galvanisée par les obstacles et les émotions ressenties.
Le lecteur suit un parcours étonnant à travers l’Europe des années 20-30 : Berta devient l’une des meilleures élèves de l’école de Weimar (celle qui a vu l’émergence du Bauhaus), l’amour la conduit à Berlin, puis elle s’installe à Prague et Vienne dans le tourbillon de la création artistique et sous les ombres menaçantes du nazisme.
Parallèlement, dans l’entrecroisement des récits et des époques, l’auteure déploie l’histoire de la petite fille de Kristyna qui, engagée sur le tournage du documentaire, découvre tout à la fois la vie tumultueuse de l’artiste et la fulgurance de ses sentiments pour Aaron, le cameraman…
Si j’ai d’abord été désarçonnée par la superposition des époques, j’ai aimé ensuite découvrir ce destin incroyable, et sentir l’énergie d’un temps où la création venait faire un pied de nez à une guerre qui s’achevait sans savoir qu’elle glissait peu à peu vers un autre conflit mondial…
Cet intervalle aussi lumineux qu’agité s’anime sous la plume de l’autrice qui rend compte de son esprit et de sa réalité, des élans créatifs dont il est traversé et de la foi en un monde moderne. C’est un temps secoué par la révolution, par les combats idéologiques et politiques auxquels Berta prend part, mue par l’urgence de vivre pleinement et la nécessité de construire un monde libre.
« L’art est une voie vers la lumière, vers l’émancipation de l’homme à laquelle je crois, à laquelle je suis prête à tout sacrifier. »
Depuis Kundera, je ne me souvenais pas avoir lu de la littérature tchèque. J’ai beaucoup aimé cette immersion dans l’art, la création, l’Histoire et la folie des destins.
A noter : Le Frankfurter Allgemeine Zeitung a écrit au sujet du roman qu’il « doit être compté parmi les meilleurs livres écrits par un écrivain tchèque contemporain ».
Rencontre avec l’autrice sur VLEEL.
Paru chez Agullo.