
Lue voici fort longtemps, la trilogie new-yorkaise m’avait laissé un sentiment étrange, l’insatisfaction d’une jeune lectrice qui aimerait avoir des réponses plus abouties alors même que ce récit vaut avant tout pour son mystère, l’absurdité des situations et sa dimension énigmatique.
Par définition on n’explique pas l’absurde et certaines énigmes ne sont pas faites pour être résolues.
Lire La Trilogie, c’est accepter de déambuler dans un labyrinthe.
C’est laisser à l’entrée ses certitudes.
Et savoir que l’on s’y perdra peut-être.
À moins que ce ne soit de cette manière qu’on se trouve.
Si j’ai préféré la fluidité romanesque des romans suivants, au premier rang desquels se situe Moon Palace, cette lecture a fondé ma passion pour Paul Auster.
Je suis entrée dans le labyrinthe, dans la chambre dérobée puis dans le scriptorium.
Je n’en suis jamais ressortie.
J’y replonge parce que la récente découverte de Pierre Cendors a réveillé la furieuse envie de savoir pourquoi de telles œuvres trouvent cet écho en moi…
Et l’intuition qu’il fallait relire Cité de verre s’est imposée.
De quoi s’agit-il ?
Il ne faut pas chercher à résumer l’intrigue, elle échappe à la logique, elle ne se laisse pas tout à fait circonscrire par quelques mots.
Ce qui se passe d’essentiel est bien plus entre les faits, faits qui ne sont que des radeaux à la dérive bientôt incapables de résister à la vague.
Mais sans doute que cette absence de résumé n’est pas satisfaisante ?
Essayons quand même d’exposer l’intrigue.
Quinn vit seul et écrit des polars, bien évidemment sous pseudo – n’oublions pas que tout est double chez Auster
Un jour et sur un malentendu, il reçoit un coup de téléphone : on le prend pour un détective, un certain Paul Auster, et on lui confie l’affaire Stillman.
Il entreprend alors des filatures dans la grande ville de NY – cette cité de verre aux mille reflets – dont la tournure devient rapidement existentielle.
Ses déambulations le mènent d’un appartement désaffecté à un autre, d’un personnage à son double et bientôt le réel se dérobe pour n’être plus qu’une vue de l’esprit dont il faut s’extraire pour parvenir à connaître sa propre identité.
Faux polar, vrai questionnement sur l’existence.
Ce que je n’avais pas compris à l’époque de mon insatisfaction, c’est qu’il est des portes qu’il ne faut pas vouloir refermer dans les récits et que c’est justement cette ouverture qui permet au lecteur de poursuivre la quête amorcée.
Plutôt que d’attendre une intrigue et un dénouement bien ficelés qui tombent pour satisfaire le lecteur, il faut ici s’interroger en même temps que le protagoniste, perdre ses repères et entreprendre à sa suite un voyage déconcertant.
C’est ce que je n’avais pas fait alors et qui m’avait plu pourtant, c’est ce qui me subjugue maintenant.
Les trois tomes de la Trilogie sont suffisamment intrigants pour susciter l’intérêt, pour saisir que se tient là un texte aussi décalé qu’ambitieux et qui n’aura de cesse de se déployer dans les œuvres à venir.
Même si elle peut paraître obscure, s’y trouvent en germe tous les motifs des romans de Paul Auster, ses préoccupations et ses obsessions.
Pour qui veut comprendre son mécanisme narratif, c’est par la Trilogie qu’il faut commencer.
Mais les lecteurs déconcertés préfèreront sans doute les œuvres suivantes dont le souffle romanesque embarque dès la première page… même si quelque fausse trappe ou trompe-l’œil les attendent toujours quelque part…
Je comprends mieux maintenant pourquoi j’ai été happée par l’univers de Pierre Cendors, certaines similitudes avec celui de Paul Auster sautent aux yeux.