Sylvain Tesson vient de faire paraître son dernier texte, La Panthère des neiges
Existe-t-il encore en ce monde des espaces préservés sur lesquels l’Homme n’a pas déposé son empreinte, des sites vierges qu’il n’aurait pas défigurés ou assujettis triomphalement, peuplés d’animaux restés égaux à eux-mêmes depuis la Création ?
Oui, à plus de 5000 m d’altitude, dans la haute vallée du Mékong, à l’extrême est du Tibet, là où les températures descendent à -35 °C en hiver.
« Dans le ciel : la glace éternelle. Sur les pentes : les roches où se prenait la brume. Dans la vallée : des êtres ivres de vitesse. »
Là, on croise les bêtes sauvages, aigles royaux, faucons, chèvres bleues, « bestiaire médiéval dans les jardins glacés », et passent les yacks dans leur allure préhistorique.
Avec beaucoup de chance vous apparaîtra peut-être la panthère des neiges…
Quand Vincent Munier, un photographe de la vie sauvage, propose à Sylvain Tesson de se rendre en plein cœur de l’hiver sur les hauteurs du Tibet pour observer cet animal dont il ne reste plus que 5000 spécimens, l’auteur prend cette invitation comme la possibilité de se placer en contemplateur et d’ouvrir un dialogue silencieux entre la nature et lui-même.
Peut-être que dans la posture de l’aguet qui suppose un renoncement à l’action ou à l’agitation, cette forme de méditation permet-elle la résurgence d’un passé évanoui ; car attendre une bête, la croiser peut-être et la voir enfin apparaître, c’est pour l’auteur comme renouer avec ceux qui nous sont chers et ont disparu de nos vies.
Pour cela, il faut savoir s’entourer d’êtres sensibles, capables de comprendre les signaux que la nature envoie et de décrypter le monde par un regard semblant le voir pour la première fois : « des voyants » qui « percent les énigmes de l’agencement des choses là où les savants étudient une seule pièce de l’édifice ».
Certes, la plume de Sylvain Tesson est sublime. Mais nous le savions déjà.
Au-delà de cette réalité incontestable, il m’a semblé que dans la structure même de ses phrases qui nous cueillent de façon saisissante, dans le ton parfois lyrique, parfois prosaïque, et dans le choix d’un mot inattendu ou d’une image neuve, transparaissait une véritable vision du monde, bien loin des clichés, et qui nous enjoint à poser un regard véritable sur les choses qui nous entourent, un brin d’herbe, une montagne qui s’élève, un aigle qui déploie ses ailes, pour en comprendre la signification profonde.
Ce texte est bien plus qu’un carnet de voyage ou le récit d’une expédition extraordinaire, c’est la méditation d’un poète qui contemple le monde, sait la fragilité de la beauté et tente de la figer à jamais dans sa prose magnifique.
Le lire c’est s’exposer à entendre le chant des loups et à le trouver indispensable à l’équilibre du monde.
Extrait :
« Je rêvais d’une presse quotidienne dévolue aux bêtes. Au lieu de : « Attaque meurtrière pendant le carnaval », on lirait dans les journaux : « Des chèvres bleues gagnent les Kunlun». On y perdrait en angoisse, on y gagnerait en poésie. »
Chez Gallimard