Karine Tuil explore le territoire de la violence dans son roman Les Choses humaines paru en cette rentrée littéraire 2019.
Le dernier roman de Karine Tuil est réglé comme du papier à musique.
Les personnages sont voués à une chute vertigineuse après avoir côtoyé les sommets de la reconnaissance sociale et médiatique.
A une première partie qui présente leur vie brillante en apparence mais pleine de faux-semblants succède « le territoire de la violence » : ils sont brutalement projetés dans un mécanisme bien huilé et qui s’apprête à les broyer inexorablement.
C’est aussi efficace et terrible que dans une tragédie antique où rien ne peut enrayer la machine infernale qui s’emballe.
À moins que dans notre monde moderne on puisse échapper à la colère des dieux ?
La question est de savoir comment le destin se charge de leur faire comprendre leur vulnérabilité et quel sort il leur réserve : entre prison ou déshonneur, quelle disqualification sociale les atteindra ?
Ici, ce sont les hautes sphères des médias qui sont visées à travers ce couple très en vue : Claire grande essayiste féministe dont le dernier sujet d’intérêt est ce viol collectif commis à Cologne dans la nuit du 1er de l’an, et Jean Farel, grand journaliste politique dont l’émission télévisée bat des records d’audience.
Quand une accusation de viol vise leur fils Alexandre, brillant élève diplômé de Polytechnique, inscrit à la prestigieuse université de Stanford et pétri des thèses féministes de sa mère, c’est leur belle construction sociale qui vole en éclat, ce sont leurs idées mêmes qui sont mises à mal en se frottant à l’intime dans de terribles contradictions.
La machine judiciaire et médiatique se met en marche.
Mais au-delà de cette perspective, cette intrigue s’intéresse au douloureux traumatisme du viol, perçu très différemment selon la victime ou l’agresseur, entre véritable agression sexuelle ou consentement tacite, et place le curseur de la vérité dans une zone grise insupportable qui justifierait tous les agissements.
Cette ambiguïté est particulièrement bien traitée dans le roman et Karine Tuil s’ingénie à développer les deux aspects d’une réalité qui, juste ou erronée dans la perception des personnages, permet à chacun de se sentir dans son bon droit.
Elle décortique les notions de consentement, d’agression et de culpabilité et nous emmène au cœur du procès, comme si nous assistions à l’audience pour entendre les brillants discours des avocats et rendre notre verdict.
Inspiré des affaires médiatiques qui ont marqué notre époque, Lewinsky, Weinstein et #metoo entre autres, ce roman dont l’écriture est dense et les personnages fouillés pose un regard sans concession sur notre monde, et comme toujours avec Karine Tuil, ce regard est d’une acuité confondante.
Si vous aimez comprendre le monde à travers le prisme de la littérature, ce roman est fait pour vous !
Les thèmes des médias, de la violence et de la judéité y sont traités avec finesse.
Extraits :
« C’était le pire moment de leur vie, ils le savaient. Ils n’iraient pas plus bas, ils avaient touché le fond ; après ça, ils ne pourraient que remonter à la surface, peut-être pas naviguer à vue, nager, mais seulement se laisser porter par un mouvement cyclique de submersion -asphyxie – réanimation, pour finir par flotter comme des corps inertes : les grands noyés bleus. »
« Ils découvraient la différence entre l’épreuve et le drame : la première était supportable ; le second se produisait dans un fracas intérieur sans résolution possible – un chagrin durable et définitif. »
Chez Gallimard