La confusion des sentiments

Dans son dernier roman, Tessa Hadley démonte les mécanismes d’une constellation amicale complexe et fait la démonstration brillante de son talent à explorer les replis les plus intimes de l’âme de ses personnages.

Au cœur de Londres, dans une ancienne chapelle huguenote en briques rouges, Zachary choisit d’ouvrir sa galerie d’art et d’installer sa femme Lydia et sa fille Grâce dans les quartiers paroissiaux adjacents.

Leurs amis Alex et Christine partagent leur joie, comme ils partagent leur quotidien, formant un solide quatuor d’amis.

À leurs 20 ans, les deux amies ont fait la rencontre de ces deux hommes liés par une enfance d’exilés, plus âgés qu’elles, et exerçant un fort pouvoir d’attraction : leur intelligence, leur charisme et leur maturité leur ont fait entrevoir une vie captivante avec eux.

Après une virevolte sentimentale qui les a fait un temps hésiter sur le choix du bon partenaire, après la confusion des sentiments qui a les fait évoluer dans un flou excitant, chaque personnage a posé son dévolu sur un autre, fixant les sentiments dans une relation stable.

Deux mariages, des enfants et une amitié inébranlable lient ainsi ces quatre êtres dans une harmonie jamais démentie.

Mais lorsque trente ans plus tard Zachary s’effondre dans sa galerie terrassé par une crise cardiaque, la belle stabilité de ses proches semble être aussitôt remise en question, comme si un élément clé avait été déplacé, modifiant à jamais l’équilibre de cette amitié.

Le quatuor n’est plus.

Le trio est beaucoup moins facile à vivre, créant une instabilité qui met à jour les relations originelles…

De façon extrêmement subtile et délicate, Tessa Hadley explore la psyché de ses personnages, leurs sentiments les plus intimes comme leurs relations en société, et semble vouloir démonter le mécanisme de leur amitié en les malmenant face à la mort qui s’invite inopinément.

Le sujet de la mort est particulièrement bien traité : comment éviter que l’absence ne devienne une présence insupportable ? Comment la disparition d’un proche fait-elle exploser toutes les certitudes, comme une déflagration intime dont on se relève modifié ?

J’ai beaucoup aimé ce roman parce qu’il exprime avec délicatesse la difficile période qui suit la mort d’un être que l’on a aimé, d’un être essentiel dans la construction de soi, et dont la soudaine absence met au jour les failles et les manques, faisant vaciller la flamme fragile de nos certitudes sur laquelle souffle un grand vent.

Extrait :

« Tout est provisoire, se reprit-elle. Dans les heures qui suivront, nos perceptions ne vont cesser de changer et d’évoluer en accéléré, au fur et à mesure que nous nous adapterons à cette nouvelle forme déchirée de nos existences. »

Traduction Aurélie Tronchet

Chez Bourgois