Quelle existence est réservée à des hommes qui sans relâche sont traqués pour leur homosexualité ?
Quelle possibilité de vivre pleinement s’offrent à ceux qui osent un jour se tenir la main dans la rue, bravant les interdits sociaux et familiaux, et aussitôt se font arrêter, emprisonner, humilier, anéantir ?
« Ou s’en va donc la force quand elle nous quitte et de quelle façon s’abîme la beauté qui semble ne jamais avoir existé ? »
Terrible reconstitution d’un événement réel, ce roman raconte de l’intérieur par un narrateur personnage cette terrible affaire du Queen Boat du Caire qui alerta les autorités internationales, et fit les gros titres de la presse égyptienne en 2001 dans des articles à charge en exposant « l’arrestation de plus de cinquante membres d’adorateurs du diable qui pratiquaient des perversions sexuelles et qui prenaient des photos de nu ».
« Il devenait clair que l’accusation dépasserait l’habituelle qualification d’atteinte aux bonnes mœurs pour devenir une affaire d’outrage aux religions et de formation d’organisation religieuse secrète. Nous comprîmes qu’on avait décidé de nous anéantir à tout prix. »
La chambre de l’araignée est cet espace clos dans lequel le personnage se cloître pour écrire après un terrible traumatisme infligé par l’Etat égyptien qui condamne son homosexualité ; c’est une chambre noire qui révèle la réalité sur la pellicule en noir et blanc de sa vie, dans laquelle les nuances sont enfin envisageables, et même nécessaires après les mensonges et les masques ; c’est enfin la projection de sa conscience habitée par des cauchemars et hantée depuis toujours par des araignées :
« On aurait dit que c’était une seule et même araignée qui tissait le fil de ma vie, depuis ma naissance jusqu’à maintenant, qui ne me quittait pas, qui ne mourait pas. »
Hani pour se reconstruire couche sur le papier les éléments fondateurs de sa vie, de son enfance pendant laquelle il perçoit assez tôt sa différence, de ses premières amours, de ses nombreuses et étourdissantes rencontres d’un soir, de ses relations avec sa mère, de son mariage avec une femme pour sauver les apparences, jusqu’à la rencontre ultime qui bouleverse tout et fait voler en éclats les faux-semblants.
« C’était comme si toutes les fois que j’inscrivais quelque chose sur ce cahier, je l’effaçais de l’intérieur de moi, en quelque sorte. »
Récit extrêmement fort de la condition homosexuelle dans un pays qui la réprouve, ce roman est une fiction absolument réaliste et glaçante, menée par un style vif, captivant et bouleversant, qui lève le voile sur des pratiques politiques terrifiantes et met encore une fois en avant le rôle salvateur de l’écriture.
« Marche, Hani, ne t’arrête pas de marcher. Si tu t’arrêtes, tu te figes et tu es fini. Marche vite comme si tu étais poursuivi, fuis toutes ces histoires, celles du passé et les nouvelles, fuis même l’histoire que tu conduis maintenant à travers ces lignes. »
Sorti au printemps, ce roman mérite d’être connu bien davantage encore et d’avoir un retentissement qui fasse évoluer les consciences.
Chez Actes Sud
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