Le 28 avril 2019, à la librairie Kléber de Strasbourg, Delphine de Vigan est venue s’entretenir avec un lectorat dense et construit sur plusieurs années.
Voici quelques notes pour tenter de partager ce moment.
Michka est une vieille dame qui perd son autonomie et son langage.
Elle cherche des mots, elle en fabrique, parfois poétiques et toujours signifiants.
Elle est accompagnée de Marie qui exprime sa gratitude en lui rendant visite, et Jérôme l’orthophoniste.
Je fais le constat que je suis un écrivain qui décrit très peu : je préfère donner des détails significatifs et caractériser le personnage du point de vue de l’humeur. On connaît par exemple de Michka son côté rebelle.
Cela tient à l’épure, la recherche d’une épure formelle, de l’économie des mots dans la description.
Pour moi il y a une sorte de pari à être dans cette forme très resserrée, minimale, centrée sur l’émotion.
Je voulais trouver une forme qui permette de faire entrer le romanesque dans cette écriture très dialoguée ou « monologuée ».
Cette forme minimale autorise justement l’abondance du dialogue.
Aller à l’essentiel.
Le texte est une surface de projection pour le lecteur.
Trouver le mot juste, un mais pas dix.
Je me suis bien amusée, cela a été jubilatoire d’inventer ces lapsus qui provoquent la surprise, le rire, la poésie.
La mélancolie traverse aussi ces mots.
J’ai travaillé sur une syntaxe qui crée des torsions avec le langage.
Les traducteurs ne semblent pas découragés par ces distorsions du sens et de la syntaxe.
J’avais commencé ce cycle en travaillant sur ces lois souterraines qui relient les êtres humains : la loyauté, la gratitude.
J’avais écrit une petit pièce qui s’intitule « Merci » et qui mettait en scène une vieille dame et une jeune femme.
Pour le titre « Les gratitudes », je ressentais la nécessité du pluriel, parce qu’il y en a plusieurs, du point de vue historique aussi.
Je suis forte des gratitudes que j’ai exprimées au cours de ma vie.
Même ce n’est pas si simple.
On est encombré de ces mots…
Et on est parfois embarrassé de l’émotion de l’autre.
La rencontre avec un médecin m’a sauvé la vie, le roman lui est dédié et j’ai ressenti le besoin de lui donner mon livre Jours sans faim.
Je suis un écrivain de la sensation plus que du sentiment.
Tout ce qui passe par la tête s’inscrit dans le corps humain.
J’ai passé 4 années au chevet d’une vieille personne. J’ai observé, mais j’ai aussi oublié ce que j’ai découvert pour tenter de le réinventer.
Je n’écris pas en me disant que je vais changer des choses dans l’esprit du lecteur.
Ce sont plutôt des interrogations. L’écriture est une tentative de résoudre ces interrogations entre le monde et moi.
Je cherche à ancrer mes récits dans le monde contemporain, ça m’importe.
Le 3ème roman de ce triptyque serait autour des ambitions… mais ce n’est pas tout à fait la même chose que les valeurs évoquées dans les deux autres romans. Il ne sera rattaché que symboliquement aux deux autres.
Au moment de l’écriture, je mets dehors très consciencieusement mes lecteurs, pour garder mon authenticité, ma sincérité.
Rencontre animée par Bénédicte Junger.