littérature·Rencontres

Une femme de lettres d’aujourd’hui : Claja Benages grande lectrice et fondatrice d’un prix littéraire

Si une femme de lettres est une femme engagée dans toute entreprise littéraire, alors Claja Benages en est une : grande lectrice et passionnée de littérature, elle a fondé en 2018 le Prix Bookstagram.

Claja, fondatrice du Prix Bookstagram, récompensant le meilleur roman étranger traduit en français dans l’année, répond à mes questions.

Quelle lectrice es-tu, quel rapport entretiens-tu avec les livres et la lecture ?

Je lis essentiellement de la fiction donc des romans, mais aussi de l’autofiction et de l’exofiction, des autobiographies, des biographies

Je suis très sensible aux qualités littéraires d’une œuvre, c’est le critère qui guide mes choix plus que l’appartenance à un genre.

J’apprécie énormément les romans, et aussi les polars, mais il faut qu’ils soient extrêmement bien écrits. J’ai pu refermer des polars au bout de dix pages si l’écriture ne me semblait pas de qualité. J’apprécie également les essais. Je lis aussi bien de la littérature classique ou étrangère et ce, depuis mon plus jeune âge.

Adolescente, je lisais Zola, Flaubert mais aussi Dostoievski, Steinbeck, Dickens, Melville. Je n’ai lu que des classiques jusqu’à l’âge de 20 ans. Quand un auteur classique me plaisait, il fallait que je lise tout ce qu’il avait pu écrire. Ce qui s’est avéré compliqué pour Balzac par exemple (et non, je n’ai pas terminé de lire La Comédie Humaine…). Aujourd’hui, je lis des classiques et des contemporains selon mes envies.

J’ai toujours beaucoup lu, dès que j’ai su lire et je n’ai jamais arrêté. J’ai donc un très grand nombre de livres. Je ne suis pas matérialiste, je donne énormément mes livres, ami(e)s, boîtes à livres etc. Je garde les classiques (ça fait déjà beaucoup !), dans l’espoir que cela donne envie à ma fille de les lire mais aussi parce que j’aime les relire et par nostalgie des moments passés en leur compagnie, et les contemporains qui m’ont enthousiasmée (et certains que je considère très subjectivement comme des futurs classiques). Je vais en faire hurler certain(e)s mais j’annote les pages de mes livres, je souligne aussi…

Quelles femmes de lettres t’ont marquée par la force de leur propos ou leur sensibilité particulière ?

La première femme de lettres qui m’a marquée et qui m’a donné le goût de la lecture est la Comtesse de Ségur. Enfant, j’ai dévoré ses livres et je conserve encore des souvenirs très précis de certains d’entre eux et de sa très belle plume.

Simone de Beauvoir, brillante et très en avance sur son temps. Particulièrement Le deuxième sexe qui a été à l’origine de mes questionnements sur les inégalités hommes/femmes. Je l’ai lu à l’adolescence, moment où je prenais conscience que la société attendait un comportement précis des femmes, qu’elles n’avaient pas les mêmes droits que les hommes, et cela me révoltait. Ce fût une lecture déterminante pour moi.

Marguerite Duras, qui fait partie pour moi des plus grands écrivains (et j’ai sciemment employé le masculin) du XXe siècle. J’admire la singularité de son œuvre, de ses romans, de sa plume, son génie ! Le ravissement de Lol V Stein a marqué ma vie de lectrice.

Mais aussi dans des styles bien différents et qui me viennent à l’esprit : Colette, Marguerite Yourcenar, Edith Wharton, Virginia Woolf, Carson Mc Cullers, Sylvia Plath, Vivian Gornick, Annie Ernaux, Toni Morrison etc. Il y en a énormément, il m’est impossible d’être exhaustive et j’aurais peur d’en oublier.

Quelle(s) œuvre(s) de la littérature féminine aimerais-tu un jour voir lue(s) par ta fille et les prochaines générations ?

Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir et King Kong theorie de Virginie Despentes, et particulièrement toutes celles que j’ai citées plus haut.

Tu as fondé le Prix Bookstagram : comment cette idée d’un prix du roman étranger a-t-elle germé ?

J’ai été jurée de plusieurs prix de lecteurs et j’ai pu constater à chaque fois la qualité des débats entre juré(e)s, leur sérieux, leur grande implication et la passion qui les animait.

Et j’ai également pu constater que la littérature étrangère est moins valorisée par les prix littéraires en France. Et souvent moins relayés par la presse.

Il y a peu de prix littéraires qui se concentrent uniquement sur la littérature étrangère.

Or la littérature étrangère me tient particulièrement à cœur. J’avais envie de la mettre en valeur ainsi que le métier de traducteur.

La littérature étrangère permet d’appréhender les Hommes dans leur diversité mais aussi dans ce qu’ils ont de commun. J’aime l’ouverture sur le monde (et au monde) qu’elle permet.

De plus, je la trouve la littérature étrangère en général très dynamique.

Et connaître l’autre, c’est se connaître soi-même.

Pourquoi avoir choisi le média Instagram ?

Instagram est un média très dynamique qui ne cesse de se développer.

La communauté de lecteurs qui s’y retrouve est une communauté de passionnés, qui s’investit énormément, et la bienveillance qui y règne est exceptionnelle, au sens littéral du terme.

Les lecteurs sur Instagram partagent leurs lectures, échangent, et malgré des goûts et des profils différents, il y a une vraie solidarité. Cet éclectisme est d’ailleurs très intéressant et enrichissant.

De plus, Instagram est le support idéal pour mettre en valeur la littérature étrangère car nous pouvons interagir avec le monde entier. Les frontières sont abolies.

Et il permet de proposer un prix avec un jury, tout en faisant participer les lecteurs qui ne sont pas juré(e)s.

Il rend possible l’accès aux débats entre juré(e)s. Car si le prix Bookstagram est un prix avec un jury, ce n’est pas un jury fermé et opaque. Il est le plus ouvert possible aux autres lecteurs.

Chaque lecteur peut échanger avec les juré(e)s lors des débats, sous leur publication, en privé s’ils le souhaitent et tout simplement suivre les débats.

Penses-tu que ce réseau social puisse faire évoluer les consciences en donnant une plus grande visibilité à la littérature écrite par les femmes ?

Oui, car il y a de nombreuses initiatives en ce sens qui ne peuvent qu’avoir des conséquences positives.

Le prix de la Closerie des Lilas y est relayé, des hashtags ont été créés dans ce but et sont très utilisés (« femmes de lettres à l’honneur », ou « mars au féminin »), et certains bookstagrammers consacrent des publications au manque de visibilité des femmes dans ce domaine.

Pour quel personnage féminin appartenant à la 1e sélection du Prix as-tu un attachement particulier ?

Avant d’avoir lu J’ai couru vers le Nil d’Alaa El Aswany, j’aurais répondu Turtle (My Absolute Darling, Gabriel Tallent).

Asma, un des personnages féminins de J’ai couru vers le Nil m’a énormément touchée. Elle a le courage de se battre et de défendre ses convictions, pas seulement pour elle, mais pour toute la jeunesse égyptienne. Elle est révoltée par l’injustice et la corruption qui règne dans son pays. Mais ce n’est pas un personnage monolithique. Sa conscience ne cesse de la tarauder et elle craint aussi de décevoir sa mère.

Et quel parcours d’une auteure sélectionnée cette année as-tu découvert à travers ce prix ?

J’ai découvert le parcours de deux auteures cette année, Shi-Li Kow, une auteure malaisienne, avec son premier roman, La somme de nos folies (mais qui avait écrit des nouvelles auparavant) et Ito Ogawa, une auteure japonaise, avec son 4ème roman La papèterie Tsubaki.

Quelle position occupes-tu dans le débat concernant la féminisation des noms ?

La question que je me pose sur ce sujet est : y a-t-il un inconvénient réel à la féminisation des noms ? Je ne le pense pas.

Le seul reproche qu’on peut lui opposer est d’ordre esthétique. Par exemple, « auteure » ou « autrice », ce ne serait pas très joli à l’oreille (ou à l’œil !).

On est dans le domaine du symbole et le symbole a son importance.

Je ne pense pas en revanche que ce débat doive masquer les vrais problèmes. Si l’égalité était réelle, il n’aurait pas lieu. Il est donc déjà révélateur de quelque chose. Le débat est donc important. Et si la féminisation des noms peut faire évoluer les mentalités, il ne faut pas s’en priver.

Mais qu’il ne fasse pas perdre de vue que les batailles à mener se situent aussi sur d’autres terrains.

Que fait-on réellement pour une véritable égalité dans la sphère publique, en matière salariale à compétences égales, en matière d’accès aux postes à responsabilité, etc.? Et dans la sphère privée ?

Un dernier conseil de lecture ?

Le Seigneur des porcheries de Tristan Egolf. Un chef-d’oeuvre, une pépite, un roman culte ! Il y a véritablement un « avant » et un « après » ce roman, impressionnant à tous points de vue. Un personnage (John Kaltenbrunner) et une histoire inoubliables, une plume et une audace narrative incroyables !
L’histoire de la parution du livre est peu commune. Tristan Egolf, américain, est venu s’installer à Paris. Il y a rencontré Marie Modiano (fille de Patrick Modiano) qui va l’héberger (et l’aimer). Ce premier roman, qui a été refusé aux Etats-Unis, va être publié en 1998 aux Editions Gallimard. Il va avoir un succès public et critique exceptionnel (les critiques l’ont comparé à Steinbeck ou Faulkner). Il a écrit un deuxième roman. Un troisième est paru à titre posthume car il s’est suicidé à l’âge de 33 ans. C’est un bref résumé et l’histoire de sa vie, sa personnalité, sont passionnantes. 

Vous pouvez retrouvez les chroniques de Claja sur son blog :

Des livres une vie

Et pour plus d’informations sur le prix Bookstagram , lisez l’article qui est consacré à la 1e édition.

Chronique sur le blog de Claja Benages
Chronique sur le blog de Claja Benages
Rubrique du blog de Claja Benages : passeurs de livres

4 commentaires sur “Une femme de lettres d’aujourd’hui : Claja Benages grande lectrice et fondatrice d’un prix littéraire

Répondre à mooncatchereads Annuler la réponse.

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s