Sublime conte noir
« La lune brillait comme un soleil sur fond noir, un soleil femelle qui aurait accouché de petits éclats brillants éparpillés un peu partout autour de lui, comme un immense troupeau d’enfants veillé par une mère immobile incapable d’amour. »
Sombre beauté d’un récit où la noirceur la plus profonde le dispute au sublime…
Un manoir aux allures gothiques bien à l’abri des regards, profondément enfoui dans une forêt touffue, accueille un jour une enfant innocente vendue par son père à deux êtres malfaisants – le maître de forge et sa mère – et abrite leurs agissements sordides…
Quels desseins forme dans son esprit malade un homme qui achète une gamine de 14 ans ?
Qu’est-il arrivé à la maîtresse des lieux, mystérieusement enfermée dans une chambre ?
Comment survivre à l’idée d’avoir été vendue par son propre père ?
Ces questions impriment au récit l’esprit d’un conte aussi cruel que macabre et mettant en scène des peurs ancestrales : le loup de la forêt prend ici visage humain, et le conte est d’autant plus inquiétant que des hommes y tiennent des rôles abjects.
Qu’a-t-il à nous apprendre ?
Il nous dévoile la noirceur de l’âme humaine jusqu’aux limites de la barbarie.
Il nous dit les comportements terribles qu’infligent certains êtres à d’autres pour contenter leurs désirs égoïstes.
Il témoigne surtout de la grande force puisée aux tréfonds d’une âme d’enfant pourtant soumise à l’horreur. Mais debout.
Enchaînée mais debout.
Violentée mais debout.
Rose, captive de la folie des hommes mais libre de s’inventer les plus beaux rêves d’évasion, et de chevaucher une ardente jument pour fuir l’innommable.
Lorsque les pires sévices lui sont infligés, et que le dernier tourment lui arrache sa propre chair, c’est l’écriture qui la maintient à flot :
« La seule chose qui me rattache à la vie, c’est de continuer à écrire, ou plutôt à écrier, même si je crois pas que ce mot existe il me convient. Au moins, les mots, eux, ils me laissent pas tomber. »
Ainsi, Rose noircit des cahiers, ils seront confiés et lus pour révéler l’innommable.
Ce récit, d’où montent les odeurs de la terre et l’esprit d’une campagne arriérée, n’est pas sans rappeler Maupassant et ses nouvelles réalistes, Aux champs en particulier, ou encore l’atmosphère des romans victoriens, ou plus récemment les textes de François Vallejo, notamment Ouest.
Mais Franck Bouysse se fraye son propre chemin dans cette forêt obscure et invente un personnage féminin que rien ne fait ployer, empruntant souvent sa voix pour écrire les cahiers, et tel le Petit Poucet, il laisse derrière lui des cailloux blancs dont le lecteur se saisit pour reconstituer un terrible parcours.
Terrible mais lumineux.
Une plume poétique, mêlant le langage simple d’une paysanne à des fulgurances stylistiques, parvient à extraire toute l’humanité du personnage, sa force et sa beauté.
Chez La Manufacture de livres
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