Ce roman est un coup de poing dans le ventre !

L’horreur et le sublime se côtoient à chaque chapitre, la violence est omniprésente, parfois latente, souvent explosive. Lire ces pages provoque un haut-le-cœur en même temps qu’un éblouissement pour cette si belle langue, un dégoût profond pour le personnage masculin et un attachement fort pour la petite héroïne.
L’élan vital de la jeune Turtle âgée de 14 ans est contrarié, empêché, par les attitudes dégénérées d’un personnage intelligent mais toxique, Martin son père, sorte de monstre façonné par le manque d’amour, terriblement humain mais haïssable par-dessus tout, lisant Descartes et vivant retranché dans la forêt, non loin de la côte nord de la Californie, avec une cave remplie de victuailles comme si la fin du monde devait arriver demain.
C’est l’histoire d’un amour fou, absolu, sans partage, exclusif : my absolute darling…
«– Tu deviens si grande, si forte. Mon amour absolu. Mon amour absolu.
– Oui.
– Rien qu’à moi ?
– Rien qu’à toi, dit-elle… »
Cela pourrait être très romanesque si… ce n’était pas l’amour d’un père pour sa fille. Cet amour est terrible, avilissant et destructeur. Jusqu’à quel point ?
C’est bien la question qui se pose : comment vivre son adolescence alors que l’on est maltraité, violé, anéanti, humilié chaque jour ?
Quelle place laisser aux amitiés, à l’école, à l’amour ?
Ce roman n’est pas manichéen, il montre la complexité des relations entre ce père abusif, et sa fille qui l’aime et le hait de toutes ses forces…
C’est aussi une magnifique ode à la nature. Le lecteur garde en sa mémoire le moindre brin d’herbe, la moindre araignée, souris morte ou lapin dépecé. Ici, la nature a tous les droits. Elle est vibrante, sauvage, flamboyante d’une vitalité absolue.
« Elle marche des kilomètres, pieds nus, et mange le cresson d’eau dans les fossés. Les pins Douglas et muricata laissent place à des cyprès chétifs, aux joncs, aux manzanitas pygmées, aux vieux pins tordus voûtés, séculaires mais à peine plus hauts que ses épaules. Le sol est dur et couleur cendre, parcouru de touffes de lichen vert et gris, la terre trouée d’étangs argileux et asséchés ».
Lire ce roman c’est aussi une expérience sensorielle incroyable.
Le lecteur ressort avec l’impression d’avoir traversé une forêt, touché l’écorce rugueuse d’un séquoia, entre aperçu la rainette, senti le clapotis de la pluie, entendu le craquement des feuilles sous ses pas, de s’être caché avec Turtle dans les fougères, de l’avoir suive dans le ravin, d’avoir franchi le mur de sumac vénéneux, dévalé une sente boueuse, vu s’élever son souffle en « nuages humides ».
« Autour d’elle, du gingembre sauvage pousse parmi les racines de séquoia, ses feuilles vert foncé en forme de cœur, ses fleurs violettes, leurs bouches ouvertes et leurs pistils couleur lie-de-vin enfoncé profondément dans leur feuillage. »
C’est aussi la sensation de se retrouver sur la côte, face à l’océan, parmi les maisons aux toits en bardeaux de bois, aux façades de style gingerbread, ou sur les plages de galets incrustés de sel, à l’estuaire, où l’eau des bassins est reliée à l’océan par d’étroits passages souterrains et où les courants sont puissants…
J’ai été bouleversée par cette lecture, je n’ai pu la lâcher avant de l’avoir finie, la tension allant crescendo jusqu’à la fin… Je n’oublierai pas de sitôt ce premier roman, cette plume, cet auteur si prometteur !
Si vous ne l’avez pas encore lu, il ne vous reste plus qu’à vous asseoir dans un fauteuil Adirondack, une Red Seal Ale à la main, « un fusil appuyé contre le dossier », des odeurs d’eucalyptus dans l’air. « La lumière du crépuscule tombe à l’oblique depuis la colline vers l’océan bleu scintillant ». La lecture peut commencer…
Chez Gallmeister
J’avoue que le sujet me semble bien glauque et je ne suis pas sûre de réussir à le lire.
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Je comprends très bien cette réticence devant un sujet aussi délicat que l’inceste. La langue de l’auteur permet cependant de supporter des pages difficiles, et le dénouement offre une ouverture salvatrice.
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