Chef d’œuvre américain

Dans un chant à la beauté aussi envoûtante que violente, Jesmyn Ward emprunte la route chaotique du Sud américain, celui qu’elle connaît bien ; et, sur les traces du génial Faulkner, déploie un récit qui charrie la puissance des mythes, tout comme elle s’inscrit dans la lignée des voies féminines qui s’expriment avec force dans la littérature américaine, celle de Toni Morrison en particulier.
Ce récit, c’est celui de l’Amérique d’aujourd’hui, celle des familles du Sud qui se débattent avec les vieux démons du racisme et de la violence…
Imaginez…
Vous êtes Jojo, vous avez 13 ans, un père à la peau « blanche comme le lait » et une mère noire, rejetée par une belle-famille raciste.
La violence a laissé des traces indélébiles dans votre famille : un cousin de votre père a tué le frère de votre mère dans un crime purement gratuit, et qui illustre la difficulté des blancs à accepter les noirs, le terrible sort des noirs niés, torturés et assassinés par les blancs.
Là-bas, être noir c’est être coupable.
Votre vie s’écoule dans la chaleur du Mississippi avec vos grands-parents qui font de vous un homme et votre petite sœur de trois ans que vous chérissez.
Vous êtes un peu la clé de voûte de cette famille, entre votre père Michaël qui sort de prison, votre mère Leonie qui ne tient debout que le nez plein de coke, et votre grand-père sur qui pèse le poids des jours.
Dans ce monde, on porte des gris-gris, on fait des offrandes aux esprits, et « haut dans le ciel plane l’oiseau à écailles, qui brille d’une lumière noire» projetant son ombre sur les vivants.
Le chant des revenants…
Ce récit est peuplé de spectres…
Ceux avec lesquels certains personnages sont capables d’entrer en communication.
Ceux qui ont un statut tout particulier dans la narration, tel Richie qui porte le récit au même titre que les vivants Leonie et Jojo.
Leur chant est tour à tour beau et tragique, nécessaire et fatal. Cathartique.
Il délivre un regard lucide et une vérité mythologique.
« Chante, défunt sans sépulture, chante », « Sing, Unburied, Sing » nous rappelle le titre original.
Dans un dénouement d’une incroyable intensité, porté par un souffle tragique et fantastique, l’auteure donne une voix exceptionnelle aux défunts et aux opprimés, en même temps qu’elle fait du personnage de Jojo un héros d’une telle humanité tout au long du récit, que la foi dans le salut du monde nous est encore permise…
Je pense que le terme de chef-d’œuvre n’est pas galvaudé lorsqu’on est en présence d’un texte puissant qui invente une nouvelle façon de donner la parole aux opprimés, et le fait de façon absolument juste et belle, forte et bouleversante.
Lisez ce roman. Et à votre tour entendez le chant des revenants.
EXTRAITS
« Il y a des gens : minuscules et distincts. (…) Ils ne se taisent jamais. Leur chant est omniprésent : leur bouche ne remue pas et pourtant ça émane d’eux. Une mélodie dans la lumière jaune. Ça émane de la terre noire, des arbres et du ciel toujours éclairé. Ça émane de l’eau. C’est le plus beau chant que j’aie entendu, mais je n’en comprends pas un mot. »
« Je vieillissais la bouche tordue par l’amertume de ce qui m’était servi au grand banquet de la vie : moutarde brune et kakis verts, acides, pleins de promesses trahies et de déceptions. »
Chez Belfond
Cette lecture ❤ Exceptionnelle! ❤
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Oui, à ce jour ma plus belle lecture 2019 ♥️
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