
« Sommes-nous maîtres de nos destins, esclaves de nos égos ? Maîtres de nos rêves, esclaves de ce qui les concrétise ? »
Dans une Chine communiste en plein essor de la collectivisation des années 1950, au cœur de la campagne « rétrograde et arriérée » du Sichuan, au pied de l’Himalaya, parmi les paysans aux habitudes féodales, naît Kewei, quasiment un pinceau à la main.
La cendre, le sang de poule, et la mine de carbone sont les matières premières lui permettant d’encrer sa vision du monde sur le papier ou à même le sol.
Ce talent fait trembler sa mère : être peintre, c’est selon elle se voir désigner comme un bon à rien dans une Chine où chacun doit participer activement à la reconstruction du pays.
Admis à l’Ecole des Beaux-arts de Pékin, on lui commande d’importants projets « afin de satisfaire l’appétit de l’ogre chinois de la propagande ».
Son talent lui vaut alors d’être hautement considéré pour ses créations hyperréalistes lors de la première exposition nationale d’art à Shanghai, dévolue au triomphe de la révolution.
« Kewei dans Pekin, vaquait désormais avec l’assurance de qui est devenu intouchable. Du statut d’exécutant, il avait accédé à celui de mandataire. Il avait partout l’illusion de s’être extirpé de sa condition de subalterne ».
Mais qui sont les maîtres ? Et les véritables esclaves ?
Extrêmement dense et précis, tout en laissant place à des trouées poétiques
dans la matière narrative, le récit de Greveillac nous livre les ressorts d’un
régime autoritaire qui broie les individus sacrifiés sur l’autel de la
révolution culturelle, croyant s’élever du statut d’esclave à celui de membre
du Parti alors même que cela signe leur compromission et leur soumission…
Magistral.
Editions Gallimard