
Une semaine tragique s’achève à Strasbourg et l’attaque terroriste se mêle étrangement aux textes de Sénèque joués actuellement sur la scène strasbourgeoise du Théâtre National (@tns_strasbourg)
Mardi soir, la folie meurtrière s’abat sur le Marché de Noël.
Déchaînement de violence, mort, stupeur.
Des membres de ma famille, amis, collègues se retrouvent confinés dans les restaurants, lieux culturels ou sportifs de la ville.
Mercredi, journée blanche.
Strasbourg est figée dans sa douleur, meurtrie, choquée.
Écoles désertées, rues fantomatiques, silence mortel dans le tram où chacun se dévisage, la peur au ventre.
La police est sur les dents, quadrille la ville, déploie ses services spéciaux et ses hélicoptères, de part et d’autre de la frontière.
Jeudi, tentative de retrouver un semblant de normalité.
Non, la barbarie ne passera pas.
Non, la violence n’aura pas le dernier mot.
Je fends l’air glacial des rues endeuillées, le cœur serré devant les bougies et les fleurs déposées aux endroits où des hommes sont tombés.
Le soir, je me rends comme prévu à la représentation théâtrale de Thyeste au TNS, mise en scène et interprétée par le génial Thomas Jolly.
La veille, la représentation a été annulée.
Ce soir-là, nous sommes tous persuadés, plus que jamais, que les textes littéraires éclairent les consciences.
Et là, dans un déferlement de génie, le texte antique de Sénèque télescope la réalité.
L’histoire de Thyeste, victime de la folie vengeresse de son frère Atrée dont la démesure le pousse à lui faire manger ses enfants lors d’un terrible banquet, rappelle que les monstres n’existent pas dans l’absolu, qu’ils sont avant tout des hommes qui basculent dans la folie, habités par la fureur, aveuglés par l’orgueil, à l’image peut-être de celui qui a déchaîné sa violence dans les rues de Strasbourg.
La pièce débute à 20h sur les plaintes de Tantale.
Dans le quartier du Neudorf, la traque se poursuit.
À 21h, le tireur est définitivement neutralisé, alors qu’Atrée développe encore son entreprise meurtrière.
La fin de la pièce sonne le retour à l’ordre du monde, dans un élan cathartique.
Depuis, Strasbourg a retrouvé des couleurs, mais n’oublie pas ses morts.
Les grands mythes nés de la nuit des temps sont intemporels et universels, ils nous parlent de nous.
« Un homme seul, Atrée, entraîne toute l’humanité dans le chaos. »
Un seul homme a déréglé la marche du soleil.
Ce soir là, comme souvent, le théâtre m’a aidée à vivre.
Le génie créateur a transporté une salle entière dans un étrange écho avec le monde.
Je ne l’oublierai jamais.