
J’ai passé des heures délicieuses en compagnie de Sacha, le Comte Alexandre Ilitch Rostov qui, assigné à résidence à l’hôtel Métropol de Moscou, n’en perd pas moins de sa superbe, de son humour et de ses manières exquises.
Et pourtant, il aurait de quoi être moins satisfait de son sort…
Après la révolution russe, les bolcheviques ont pris le pouvoir, faisant table
rase du passé, des manières aristocratiques qui deviennent suspectes, d’un
monde de la vieille Russie dont on se méfie et auquel le Comte reste associé.
S’il s’avisait de sortir de l’hôtel, il serait exécuté sur le champ.
Alors il assiste reclus dans son hôtel à la marche du temps, les années
s’égrenant par dizaines, de 1922 à 1954, et l’éloignant inexorablement du monde
qu’il a connu.
La vie interne du Métropol, hôtel luxueux et international, mais aussi lieu de
rendez-vous politiques, fourmille de petites histoires qui au quotidien
remplissent sa vie et intriguent le lectueur ; et c’est une grande page de
l’histoire russe que l’on tourne à mesure que les années passent, marquée par
la culture, la politique, les rencontres, et les nombreuses conversations qui
se déroulent dans le salon, les chambres, ou la cuisine.
Le Comte aura passé 30 ans de sa vie dans cet hôtel, pour y endosser des rôles
tout aussi divers qu’aristocrate déchu, compagnon de jeu d’une petite fille de
9 ans, amant passionné, serveur méticuleux, oncle puis père de substitution,
sans jamais se départir de ses belles manières, de son flegme et de son humour.
Un vrai gentleman, un dandy aux manières policées, témoin d’un autre temps
englouti dans le siècle, capable de se réinventer pour rester vivant, que j’ai
aimé suivre dans le dédale de cet hôtel miroir de la société russe…
Chez Fayard